LA
n° – Le personnage de roman, du 17ème
siècle à nos jours
Entrée
dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par
état au silence et à l’inaction, j’ai su en profiter pour
observer et réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou
distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on
s’empressait de me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on
cherchait à me cacher.
Cette
utile curiosité, en servant à m’instruire, m’apprit encore à
dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon
attention aux yeux qui m’entouraient, j’essayai de guider les
miens à mon gré ; j’obtins dès lors de prendre à volonté
ce regard distrait que depuis vous avez loué si souvent. Encouragée
par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers
mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais
à prendre l’air de la sécurité, même celui de la joie ;
j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires,
pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir. Je me suis
travaillée avec le même soin et plus de peine pour réprimer les
symptômes d’une joie inattendue. C’est ainsi que j’ai su
prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu
quelquefois si étonné.
J’étais
bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n’avais
à moi que ma pensée, et je m’indignais qu’on pût me la ravir
ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières
armes, j’en essayai l’usage : non contente de ne plus me
laisser pénétrer, je m’amusais à me montrer sous des formes
différentes ; sûre de mes gestes, j’observais mes discours ;
je réglais les uns et les autres, suivant les circonstances, ou même
seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de
penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu’il
m’était utile de laisser voir.
Ce
travail sur moi-même avait fixé mon attention sur l’expression
des figures & le caractère des physionomies ; et j’y
gagnai ce coup d’oeil pénétrant, auquel l’expérience m’a
pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui, en
tout, m’a rarement trompée.
Je n’avais
pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus
grande partie de nos politiques doivent leur réputation, et je ne me
trouvais encore qu’aux premiers éléments de la science que je
voulais acquérir.
Les Liaisons dangereux,
Lettre LXXXI, Choderlos de Laclos, 1782
salut! Quel idées principales avez-vous utilisé, fait ressortir ? j'ai du mal avec les plans linéaires...
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