ARNOLPHE, à part.
Ah ! sorcière maudite, empoisonneuse
d’âmes,
Puisse l’enfer payer tes charitables
trames !
AGNÈS
Voilà comme il me vit, et reçut
guérison.
Vous-même, à votre avis, n’ai-je
pas eu raison ?
Et pouvois-je, après tout, avoir la
conscience
De le laisser mourir faute d’une
assistance,
Moi qui compatis tant aux gens qu’on
fait souffrir
Et ne puis, sans pleurer, voir un
poulet mourir ?
ARNOLPHE, bas.
Tout cela n’est parti que d’une âme
innocente
Et j’en dois accuser mon absence
imprudente,
Qui sans guide a laissé cette bonté
de mœurs
Exposée aux aguets des rusés
séducteur.
Je crains que le pendard, dans ses vœux
téméraires,
Un peu plus fort que jeu n’ait poussé
les affaires.
AGNÈS
Qu’avez-vous ? Vous grondez, ce me
semble, un petit ?
Est-ce que c’est mal fait ce que je
vous ai dit ?
ARNOLPHE
Non. Mais de cette vue apprenez-moi les
suites,
Et comme le jeune homme a passé ses
visites.
AGNÈS
Hélas ! si vous saviez comme il étoit
ravi,
Comme il perdit son mal sitôt que je
le vi,
Le présent qu’il m’a fait d’une
belle cassette,
Et l’argent qu’en ont eu notre
Alain et Georgette,
Vous l’aimeriez sans doute et diriez
comme nous…
ARNOLPHE
Oui. Mais que faisoit-il étant seul
avec vous ?
AGNÈS
Il juroit qu’il m’aimoit d’une
amour sans seconde,
Et me disoit des mots les plus gentils
du monde,
Des choses que jamais rien ne peut
égaler,
Et dont, toutes les fois que je
l’entends parler,
La douceur me chatouille et là dedans
remue
Certain je ne sais quoi dont je suis
toute émue.
ARNOLPHE, à part.
O fâcheux examen d’un mystère
fatal,
Où l’examinateur souffre seul tout
le mal !
(À Agnès.)
Outre tous ces discours, toutes ces
gentillesses.
Ne vous faisoit-il point aussi quelques
caresses ?
AGNÈS
Oh tant ! Il me prenoit et les mains et
les bras,
Et de me les baiser il n’étoit
jamais las.
ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris, Agnès,
quelque autre chose ?
(La voyant interdite.)
Ouf !
AGNÈS
Hé ! il m’a…
ARNOLPHE
Quoi ?
AGNÈS
Pris…
ARNOLPHE
Euh !
AGNÈS
Le…
ARNOLPHE
Plaît-il ?
AGNÈS
Je n’ose,
Et vous vous fâcherez peut-être
contre moi.
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si fait.
ARNOLPHE
Mon Dieu, non !
AGNÈS
Jurez donc votre foi.
ARNOLPHE
Ma foi, soit.
AGNÈS
Il m’a pris… Vous serez en colère.
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si.
ARNOLPHE
Non, non, non, non. Diantre, que de
mystère !
Qu’est-ce qu’il vous a pris ?
AGNÈS
Il…
ARNOLPHE, à part.
Je souffre en damné.
AGNÈS
Il m’a pris le ruban que vous m’aviez
donné.
À vous dire le vrai, je n’ai pu m’en
défendre.
ARNOLPHE, reprenant haleine.
Passe pour le ruban. Mais je voulois
apprendre
S’il ne vous a rien fait que vous
baiser les bras.
AGNÈS
Comment ? est-ce qu’on fait d’autres
choses ?
ARNOLPHE
Non pas.
Mais pour guérir du mal qu’il dit
qui le possède,
N’a-t-il point exigé de vous d’autre
remède ?
AGNÈS
Non. Vous pouvez juger, s’il en eût
demandé,
Que pour le secourir j’aurois tout
accordé.
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