LA
n° – Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème
siècle à nos jours
Au
bout d'un moment, La gamine sort de dessous la table, s'approche de
la
fenêtre,
l'entrouvre, fait entrer Zucco.
LA
GAMINE. — Enlève
tes chaussures. Comment t'appelle-tu ?
ZUCCO.
— Appelle-moi
comme tu veux. Et toi?
LA
GAMINE. — Moi,
je n'ai plus de nom. On m'appelle tout le temps de noms de petites
bêtes, poussin, pinson, moineau, alouette, étourneau, colombe,
rossignol. Je préférerais que l'on m'appelle rat, serpent à
sonnette ou porcelet. Qu'est-ce que tu fais, dans la vie ?
ZUCCO.
— Dans la vie ?
LA
GAMINE. — Oui,
dans la vie : ton métier, ton occupation, comment tu gagnes de
l'argent, et toutes ces choses que tout le monde fait ?
ZUCCO.
— Je ne fais pas
ce que fait tout le monde.
LA
GAMINE. —Alors
justement, dis-moi ce que tu fais.
ZUCCO.
— Je suis agent
secret. Tu sais ce que c'est, un agent secret ?
LA
GAMINE. — Je
sais ce que c'est qu'un secret.
ZUCCO.
— Un agent, en
plus d'être secret, il voyage, il parcourt le monde, il a des armes.
LA
GAMINE.— Tu as
une arme ?
ZUCCO.
— Bien sûr que
oui.
LA
GAMINE. — Montre-moi.
ZUCCO.
— Non.
LA
GAMINE. — Alors,
tu n'as pas d'arme.
ZUCCO.
— Regarde.
Il
sort un poignard.
LA
GAMINE. — Ce
n'est pas une arme, ça.
ZUCCO.
— Avec ça, tu
peux tuer aussi bien qu'avec n'importe quelle autre arme.
LA
GAMINE. — En
dehors de tuer, qu'est-ce qu'il fait d'autre, un agent secret ?
ZUCCO.
— II voyage, il
va en Afrique. Tu connais l'Afrique ?
LA
GAMINE. — Très
bien.
ZUCCO.
— Je connais des
coins, en Afrique, des montagnes tellement hautes qu'il y neige tout
le temps. Personne ne sait qu'il neige en Afrique. Moi,c'est ce que
je préfère au monde : la neige en Afrique qui tombe sur des
lacsgelés.
LA
GAMINE. — Je
voudrais aller voir la neige en Afrique. Je voudrais faire du patin à
glace sur les lacs gelés.
ZUCCO.
— II y a aussi
des rhinocéros blancs qui traversent le lac, sous la neige.
LA
GAMINE. — Comment
tu t'appelles ? Dis-moi ton nom.
ZUCCO.
— Jamais je ne
dirai mon nom.
LA
GAMINE. — Pourquoi
? Je veux savoir ton nom.
ZUCCO.
— C'est un
secret.
LA
GAMINE. — Je
sais garder les secrets. Dis-moi ton nom.
ZUCCO.
—Je l'ai oublié.
LA
GAMINE. —Menteur.
ZUCCO.
— Andréas.
LA
GAMINE. — Non.
ZUCCO.
— Angelo.
LA
GAMINE. — Ne te
moque pas de moi ou je crie. Ce n'est aucun de ces-là.
ZUCCO.
— Et comment le
sais-tu, puisque tu ne le sais pas ?
LA
GAMINE. — Impossible.
Je le reconnaîtrai tout de suite.
ZUCCO.
— Je ne peux pas
le dire.
LA
GAMINE. —Même
si tu ne peux pas le dire, dis-le moi quand même.
ZUCCO.
— Impossible. Il
pourrait m'arriver un malheur.
LA
GAMINE. — Cela
ne fait rien. Dis-le moi quand même.
ZUCCO.
— Si je te le
disais, je mourrais.
LA
GAMINE. —Même
si tu dois mourir, dis-le moi quand même.
Roberto
Zucco, scène
III, Koltès
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