mercredi 20 avril 2016
LA "Les Essais" de Montaigne
Est ce que l'un de vous a le commentaire complet des Essais de Montaigne, je ne le trouve pas, merci
lundi 18 avril 2016
Textes du bac
Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté
sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé
avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient
jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes
tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme
une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont
hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant
m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien
longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi
à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait
joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des
vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près
de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre.
Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi,
je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère
m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes
et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre
indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel
enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore.
Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me
restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon
exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine.
Fin de L'Etranger - Albert Camus
Fin de L'Etranger - Albert Camus
Textes du bac
J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini.
Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J'ai
fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout,
il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son
visage, il avait l'air de rire. J'ai attendu. La brûlure du soleil
gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes
sourcils. C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman
et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines
battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne
pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que
c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me
déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant. Et
cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a
présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était
comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même
instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les
paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux
étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais
plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le
glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée
brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est
alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent.
Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser
pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur
le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la
crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que
tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que
j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une
plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un
corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et
c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du
malheur.
Fin de la première partie de L'Etranger - Albert Camus
Fin de la première partie de L'Etranger - Albert Camus
Textes du bac
LA
n° 11 – La question de l’Homme dans les genres de
l’argumentation
Aujourd'hui, maman est
morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme
de l'asile: «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments
distingués.» Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres
d'Alger. Je prendrai l'autobus à deux heures et j'arriverai dans
l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir.
J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas
me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air
content. Je lui ai même dit : "Ce n'est pas de ma faute."
II n'a pas répondu. J'ai pensé alors que je n'aurais pas dû lui
dire cela. En somme, je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à
lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute
après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c'est un
peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au
contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une
allure plus officielle.
J'ai pris l'autobus à deux
heures. II faisait très chaud. J'ai mangé au restaurant, chez
Céleste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour
moi et Céleste m'a dit: "On n'a qu'une mère". Quand je
suis parti, ils m'ont accompagné à la porte. J'étais un peu
étourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui
emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il
y a quelques mois. J'ai couru pour ne pas manquer le départ.
Cette hâte, cette course, c'est à cause de tout cela sans doute,
ajouté aux cahots, à l'odeur d'essence, à la réverbération de la
route et du ciel, que je me suis assoupi. J'ai dormi pendant presque
tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j'étais tassé
contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demandé si je venais de
loin. J'ai dit "oui" pour n'avoir plus à parler.
L’Etranger,
Albert Camus, incipit
Textes du bac
LA
n° – Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème
siècle à nos jours
NAWAL.
Réfléchis, Sawda! Tu es la victime et tu vas aller tuer tous ceux
qui seront sur ton chemin, alors tu seras le bourreau, puis après, à
ton tour tu seras la victime ! Toi tu sais chanter, Sawda, tu sais
chanter.
SAWDA.
Je ne peux pas ! Je ne veux pas me consoler, Nawal. Je ne veux pas
que tes idées, tes images, tes paroles, tes yeux, ton amitié, toute
notre vie côte à côte, je ne veux pas qu'ils me consolent de ce
que j'ai vu et entendu! Ils sont entrés dans les camps comme des
fous furieux. Les premiers cris ont réveillé les autres et
rapidement on a entendu la fureur des miliciens! Ils ont commencé
par lancer les enfants contre le mur, puis ils ont tué tous les
hommes qu'ils ont pu trouver. Les garçons égorgés, les jeunes
filles brûlées. Tout brûlait autour, Nawal, tout brûlait, tout
cramait! Il y avait des vagues de sang qui coulaient des ruelles. Les
cris montaient des gorges et s'éteignaient et c'était une vie en
moins. Un milicien préparait l'exécution de trois frères. Il les a
plaqués contre le mur. J'étais à leurs pieds, cachée dans le
caniveau. Je voyais le tremblement de leurs jambes. Trois frères.
Les miliciens ont tiré leur mère par les cheveux, l'ont plantée
devant ses fils et l'un d'eux lui a hurlé : « Choisis ! Choisis
lequel tu veux sauver. Choisis! Choisis ou je les tue tous ! Tous les
trois! Je compte jusqu'à trois, à trois je les tire tous les trois
! Choisis ! Choisis ! » Et elle, incapable de parole, incapable de
rien, tournait la tête à droite et à gauche et regardait chacun de
ses trois fils ! Nawal, écoute-moi, je ne te raconte pas une
histoire. Je te raconte une douleur qui est tombée à mes pieds. Je
la voyais, entre le tremblement des jambes de ses fils. Avec ses
seins trop lourds et son corps vieilli pour les avoir portés, ses
trois fils. Et tout son corps hurlait : « Alors à quoi bon les
avoir portés si c'est pour les voir ensanglantés contre un mur! »
Et le milicien criait toujours: « Choisis! Choisis!» Alors elle l'a
regardé et elle lui a dit, comme un dernier espoir : « Comment
peux-tu, regarde-moi, je pourrais être ta mère ! » Alors il l'a
frappée : « N'insulte pas ma mère ! Choisis » et elle a dit un
nom, elle a dit « Nidal. Nidal ! » Et elle est tombée et le
milicien a abattu les deux plus jeunes. Il a laissé l'aîné en vie,
tremblant ! Il l'a laissé et il est parti. Les deux corps sont
tombés. La mère s'est relevée et au cœur de la ville qui brûlait,
qui pleurait de toute sa vapeur, elle s'est mise à hurler que
c'était elle qui avait tué ses fils. Avec son corps trop lourd,
elle disait qu'elle était l'assassin de ses enfants!
Incendies,
Mouawad, scène 25 "Amitiés"
Textes du bac
LA
n° – Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème
siècle à nos jours
Au
bout d'un moment, La gamine sort de dessous la table, s'approche de
la
fenêtre,
l'entrouvre, fait entrer Zucco.
LA
GAMINE. — Enlève
tes chaussures. Comment t'appelle-tu ?
ZUCCO.
— Appelle-moi
comme tu veux. Et toi?
LA
GAMINE. — Moi,
je n'ai plus de nom. On m'appelle tout le temps de noms de petites
bêtes, poussin, pinson, moineau, alouette, étourneau, colombe,
rossignol. Je préférerais que l'on m'appelle rat, serpent à
sonnette ou porcelet. Qu'est-ce que tu fais, dans la vie ?
ZUCCO.
— Dans la vie ?
LA
GAMINE. — Oui,
dans la vie : ton métier, ton occupation, comment tu gagnes de
l'argent, et toutes ces choses que tout le monde fait ?
ZUCCO.
— Je ne fais pas
ce que fait tout le monde.
LA
GAMINE. —Alors
justement, dis-moi ce que tu fais.
ZUCCO.
— Je suis agent
secret. Tu sais ce que c'est, un agent secret ?
LA
GAMINE. — Je
sais ce que c'est qu'un secret.
ZUCCO.
— Un agent, en
plus d'être secret, il voyage, il parcourt le monde, il a des armes.
LA
GAMINE.— Tu as
une arme ?
ZUCCO.
— Bien sûr que
oui.
LA
GAMINE. — Montre-moi.
ZUCCO.
— Non.
LA
GAMINE. — Alors,
tu n'as pas d'arme.
ZUCCO.
— Regarde.
Il
sort un poignard.
LA
GAMINE. — Ce
n'est pas une arme, ça.
ZUCCO.
— Avec ça, tu
peux tuer aussi bien qu'avec n'importe quelle autre arme.
LA
GAMINE. — En
dehors de tuer, qu'est-ce qu'il fait d'autre, un agent secret ?
ZUCCO.
— II voyage, il
va en Afrique. Tu connais l'Afrique ?
LA
GAMINE. — Très
bien.
ZUCCO.
— Je connais des
coins, en Afrique, des montagnes tellement hautes qu'il y neige tout
le temps. Personne ne sait qu'il neige en Afrique. Moi,c'est ce que
je préfère au monde : la neige en Afrique qui tombe sur des
lacsgelés.
LA
GAMINE. — Je
voudrais aller voir la neige en Afrique. Je voudrais faire du patin à
glace sur les lacs gelés.
ZUCCO.
— II y a aussi
des rhinocéros blancs qui traversent le lac, sous la neige.
LA
GAMINE. — Comment
tu t'appelles ? Dis-moi ton nom.
ZUCCO.
— Jamais je ne
dirai mon nom.
LA
GAMINE. — Pourquoi
? Je veux savoir ton nom.
ZUCCO.
— C'est un
secret.
LA
GAMINE. — Je
sais garder les secrets. Dis-moi ton nom.
ZUCCO.
—Je l'ai oublié.
LA
GAMINE. —Menteur.
ZUCCO.
— Andréas.
LA
GAMINE. — Non.
ZUCCO.
— Angelo.
LA
GAMINE. — Ne te
moque pas de moi ou je crie. Ce n'est aucun de ces-là.
ZUCCO.
— Et comment le
sais-tu, puisque tu ne le sais pas ?
LA
GAMINE. — Impossible.
Je le reconnaîtrai tout de suite.
ZUCCO.
— Je ne peux pas
le dire.
LA
GAMINE. —Même
si tu ne peux pas le dire, dis-le moi quand même.
ZUCCO.
— Impossible. Il
pourrait m'arriver un malheur.
LA
GAMINE. — Cela
ne fait rien. Dis-le moi quand même.
ZUCCO.
— Si je te le
disais, je mourrais.
LA
GAMINE. —Même
si tu dois mourir, dis-le moi quand même.
Roberto
Zucco, scène
III, Koltès
Textes du bac
ARNOLPHE, à part.
Ah ! sorcière maudite, empoisonneuse
d’âmes,
Puisse l’enfer payer tes charitables
trames !
AGNÈS
Voilà comme il me vit, et reçut
guérison.
Vous-même, à votre avis, n’ai-je
pas eu raison ?
Et pouvois-je, après tout, avoir la
conscience
De le laisser mourir faute d’une
assistance,
Moi qui compatis tant aux gens qu’on
fait souffrir
Et ne puis, sans pleurer, voir un
poulet mourir ?
ARNOLPHE, bas.
Tout cela n’est parti que d’une âme
innocente
Et j’en dois accuser mon absence
imprudente,
Qui sans guide a laissé cette bonté
de mœurs
Exposée aux aguets des rusés
séducteur.
Je crains que le pendard, dans ses vœux
téméraires,
Un peu plus fort que jeu n’ait poussé
les affaires.
AGNÈS
Qu’avez-vous ? Vous grondez, ce me
semble, un petit ?
Est-ce que c’est mal fait ce que je
vous ai dit ?
ARNOLPHE
Non. Mais de cette vue apprenez-moi les
suites,
Et comme le jeune homme a passé ses
visites.
AGNÈS
Hélas ! si vous saviez comme il étoit
ravi,
Comme il perdit son mal sitôt que je
le vi,
Le présent qu’il m’a fait d’une
belle cassette,
Et l’argent qu’en ont eu notre
Alain et Georgette,
Vous l’aimeriez sans doute et diriez
comme nous…
ARNOLPHE
Oui. Mais que faisoit-il étant seul
avec vous ?
AGNÈS
Il juroit qu’il m’aimoit d’une
amour sans seconde,
Et me disoit des mots les plus gentils
du monde,
Des choses que jamais rien ne peut
égaler,
Et dont, toutes les fois que je
l’entends parler,
La douceur me chatouille et là dedans
remue
Certain je ne sais quoi dont je suis
toute émue.
ARNOLPHE, à part.
O fâcheux examen d’un mystère
fatal,
Où l’examinateur souffre seul tout
le mal !
(À Agnès.)
Outre tous ces discours, toutes ces
gentillesses.
Ne vous faisoit-il point aussi quelques
caresses ?
AGNÈS
Oh tant ! Il me prenoit et les mains et
les bras,
Et de me les baiser il n’étoit
jamais las.
ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris, Agnès,
quelque autre chose ?
(La voyant interdite.)
Ouf !
AGNÈS
Hé ! il m’a…
ARNOLPHE
Quoi ?
AGNÈS
Pris…
ARNOLPHE
Euh !
AGNÈS
Le…
ARNOLPHE
Plaît-il ?
AGNÈS
Je n’ose,
Et vous vous fâcherez peut-être
contre moi.
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si fait.
ARNOLPHE
Mon Dieu, non !
AGNÈS
Jurez donc votre foi.
ARNOLPHE
Ma foi, soit.
AGNÈS
Il m’a pris… Vous serez en colère.
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si.
ARNOLPHE
Non, non, non, non. Diantre, que de
mystère !
Qu’est-ce qu’il vous a pris ?
AGNÈS
Il…
ARNOLPHE, à part.
Je souffre en damné.
AGNÈS
Il m’a pris le ruban que vous m’aviez
donné.
À vous dire le vrai, je n’ai pu m’en
défendre.
ARNOLPHE, reprenant haleine.
Passe pour le ruban. Mais je voulois
apprendre
S’il ne vous a rien fait que vous
baiser les bras.
AGNÈS
Comment ? est-ce qu’on fait d’autres
choses ?
ARNOLPHE
Non pas.
Mais pour guérir du mal qu’il dit
qui le possède,
N’a-t-il point exigé de vous d’autre
remède ?
AGNÈS
Non. Vous pouvez juger, s’il en eût
demandé,
Que pour le secourir j’aurois tout
accordé.
Textes du bac
En
approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par
terre, n’ayant plus la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un
caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la
jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit
Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l’état
horrible où je te vois ? – J’attends mon maître,
M.Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. – Est-ce
M.Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? – Oui,
monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon
de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous
travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on
nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous
coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à
ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma
mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me
disait : « Mon cher enfant, bénis nos fétiches,
adore-les toujours, ils te feront vivre heureux, tu as l’honneur
d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la
fortune de ton père et de ta mère. » Hélas ! Je ne sais
pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne.
Les chiens, les singes, et les perroquets sont mille fois moins
malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m’ont converti me
disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam,
blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces
prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains.
Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents
d’une manière plus horrible.
Candide,
Chap XIX, Voltaire
Textes du bac
En côtoyant la mer à la quête de
leurs mines, quelques Espagnols prirent terre en une contrée fertile
et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs
remontrances accoutumées : qu’ils étaient gens paisibles,
venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de Castille,
le plus grand prince de la terre habitable, auquel le pape,
représentant Dieu en terre, avait donnée la principauté de toutes
les Indes ; que s’ils voulaient lui payer un tribut, ils
seraient très bénignement traités ; leur demandaient des
vivres pour leur nourriture, et de l’or pour le besoin de quelque
médecine ; leur expliquaient au demeurant la croyance d’un
seul Dieu, et la vérité de notre religion, laquelle ils leur
conseillaient d’accepter, y ajoutant quelques menaces. La réponse
fut telle : que quant à être paisibles, ils n’en portaient
pas la mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il
demandait, il devait être indigent et nécessiteux ; et celui
qui lui avait fait cette distribution, homme aimant dissension,
d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne, pour le
mettre en débat contre les anciens possesseurs ; quant aux
vivres, qu’ils leur fourniraient ; d’or, ils en avaient peu,
et que c’était une chose qu’ils mettaient en nulle estime,
d’autant qu’elle état inutile au service de leur vie, alors que
tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et
plaisamment ; pour cette raison ce qu’ils en pourraient
trouver, sauf ce qui était employé au service de leurs dieux,
qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le
discours leur en avait plu, mais qu’ils ne voulaient changer leur
religion, s’en étant si utilement servis si longtemps, qu’ils
n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et
connaissances ; quant aux menaces, c’était signe de faute de
jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens
étaient inconnus ; ainsi qu’ils se dépêchassent promptement
de vider leur terre, car ils n’étaient pas accoutumés de prendre
en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et
étrangers, autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autres,
leur montrant les têtes d’aucuns hommes exécutés autour de leur
ville. Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance.
Les Essais, livre
III, chapitre VI – « Des Coches », Montaigne
Textes du bac
Jean de LA FONTAINE (1621-1695)
Le Chêne et le Roseau
Le Chêne un jour dit au Roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la
Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant
fardeau.
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase
pareil,
Non content d'arrêter les rayons du
soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble
Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du
feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du
vent.
La nature envers vous me semble bien
injuste.
- Votre compassion, lui répondit
l'Arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce
souci.
Les vents me sont moins qu'à vous
redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez
jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. "Comme il
disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là
dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était
voisine
Et dont les pieds touchaient à
l'Empire des Morts.
Textes du bac
- Vous fumez beaucoup ? répéta-t-elle.
Elle l’avait demandé déjà, mais il
ne l’avait pas entendue. Le regard de Gisors revint dans la
chambre :
- Croyez-vous que je ne devine pas ce que vous pensez, et croyez-vous que je ne le sache pas mieux que vous ? Croyez-vous-même qu’il ne me serait pas facile de vous demander de quel droit vous me jugez ?
Le regard s’arrêta sur elle :
- N’avez-vous aucun désir d’un enfant ?
Elle ne répondit
pas : ce désir toujours passionné lui semblait maintenant une
trahison. Mais elle contemplait avec épouvante ce visage serein. Il
lui revenait en vérité du fond de la mort, étranger comme l’un
des cadavres des fosses communes. Dans la répression abattue sur la
Chine épuisée, dans l’angoisse ou l’espoir de la foule,
l’action de Kyo demeurait incrustée comme les inscriptions des
empires primitifs dans les gorges des fleuves. Mais même la vieille
Chine que ces quelques hommes avaient jetée sans retour aux ténèbres
avec un grondement d’avalanche n’était pas plus effacée du
monde que le sens de la vie de Kyo du visage de son père. Il
reprit :
- La seule chose que j’aimais m’a été arrachée, n’est-ce pas, et vous voulez que je reste le même. Croyez-vous que mon amour n’ait pas valu le vôtre, à vous dont la vie n’a même pas changée ?
- Comme ne change pas le corps d’un vivant qui devient un mort…
Il lui prit la main :
- Vous connaissez la phrase : « il faut neuf mois pour faire un homme, et un seul jour pour le tuer ». Nous l’avons sur autant qu’on peut le savoir l’un et l’autre… May, écoutez : il ne faut pas neuf mois, il faut soixante ans pour faire un homme, soixante ans de sacrifices, de volonté, de… de tant de choses ! Et quand cet homme est fait, quand il n’y a plus en lui rien de l’enfance, ni de l’adolescence, quand, vraiment, il est un homme, il n’est plus bon qu’à mourir.
Elle le regardait, atterrée ; lui
regardait de nouveau les nuages :
- J’ai aimé Kyo comme peu d’hommes aiment leurs enfants, vous savez…
Il tenait toujours sa main : il
l’amena à lui, la prit entre les siennes :
- Ecoutez-moi : il faut aimer les vivants et non les morts.
- Je ne vais pas là-bas pour aimer.
Il contemplait la baie magnifique,
saturée de soleil. Elle avait retirée sa main.
- Sur le chemin de la vengeance, ma petite May, on rencontre la vie…
- Ce n’est pas une raison pour l’appeler.
Elle se leva, lui rendit sa main en
signe d’adieu. Mais il lui prit le visage entre les paumes et
l’embrasse. Kyo l’avait embrassée ainsi, le dernier jour,
exactement ainsi, et jamais depuis des mains n’avaient pris sa
tête.
- Je ne pleure plus guère, maintenant, dit-elle, avec un orgueil amer.
Le Condition humaine,
Malraux, excipit.
Textes du bac
« La dignité humaine »,
murmura Katow, qui pensait à l’entrevue de Kyo avec König. Aucun
des condamnés ne parlait plus. Au-delà du fanal, dans l’ombre
maintenant complète, toujours la rumeur des blessures… Il se
rapprocha encore de Souen et de son compagnon. L’un des gardes
contait aux autres une histoire : têtes réunies, ils se
trouvèrent entre le fanal et les condamnés : ceux-ci ne se
voyaient même plus. Malgré la rumeur, malgré tous ces hommes qui
avaient combattu comme lui, Katow était seul, seul entre le corps de
son ami mort et ses deux compagnons épouvantés, seul entre ce mur
et ce sifflet perdu dans la nuit. Mais un homme pouvait être plus
fort que cette solitude et même, peut être que ce sifflet atroce :
la peur luttait en lui contre la plus terrible tentation de sa vie.
Il ouvrit à son tour la boucle de sa ceinture. Enfin :
- Hé là, dit-il à voix très basse. Souen, pose ta main sur ma poitrine, et prends dès que je la toucherai : je vais vous donner mon cyanure. Il n’y en a absolument que pour deux.
Il avait renoncé
à tout, sauf à dire qu’il n’y en avait que pour deux. Couché
sur le côté, il brisa le cyanure en deux. Les gardes masquaient la
lumière, qui les entourait d’une auréole trouble ; mais
n’allaient-ils pas bouger ? Impossible de voir quoi que ce
fût ; ce don de plus que sa vie, Katow le faisait à cette main
chaude qui reposait sur lui, pas même à des corps, pas même à des
voix. Elle se crispa comme un animal, se sépara de lui aussitôt. Il
attendit, tout le corps tendu. Et soudain, il entendit l’une des
deux voix :
- C’est perdu. Tombé.
Voix à peine
altérée par l’angoisse, comme si une telle catastrophe n’eût
pas été possible, comme si tout eût dû s’arranger. Pour Katow
aussi, c’était impossible. Une colère sans limites montait en lui
mais retombait, combattue par cette impossibilité. Et pourtant !
Avoir donné cela pour que cet idiot le perdît !
- Quand ? demanda-t-il.
- Avant mon corps. Pas pu tenir quand Souen l’a passé : je suis aussi blessé à la main.
- Il a fait tomber les deux, dit Souen.
Sans doute
cherchaient-ils entre eux. Ils cherchèrent ensuite entre Katow et
Souen, sur qui l’autre était probablement presque couché, car
Katow, sans rien voir, sentait près de lui la masse de deux corps.
Il cherchait lui aussi, s’efforçant de vaincre sa nervosité, de
poser sa main à plat, de dix centimètres en dix centimètres,
partout où il pouvait atteindre. Leurs mains frôlaient la sienne.
Et tout à coup une des deux la prit, la serra, la conserva.
- Même si nous ne trouvons rien… dit une des voix.
Katow, lui aussi,
serrait la main, à la limite des larmes, pris par cette pauvre
fraternité sans visage, presque sans vraie voix (tous les
chuchottements se ressemblent) qui lui était donnée dans cette
obscurité était peut-être fait en vain. Bien que Souen continuât
à chercher, les deux mains restaient unies. L’étreinte devint
soudain crispation :
- Voilà.
Ô
résurrection !... Mais :
- Tu es sûr que ce ne sont pas des cailloux ? demanda l’autre.
Il y avait beaucoup de morceaux de
plâtre par terre.
- Donne ! dit Katow.
Du bout des doigts, il reconnut les
formes.
Il les rendit –
les rendit – serra plus fort la main qui cherchait à nouveau la
sienne, et attendit, tremblant des épaules, claquant des dents.
« Pourvu que le cyanure ne soit pas décomposé, malgré le
papier d’argent », pensa-t-il. La main qu’il tenait tordit
soudain la sienne, et, comme s’il eût communiqué par elle avec le
corps perdu dans l’obscurité, il sentit que celui-ci se tendait.
Il enviait cette suffocation convulsive. Presque en même temps,
l’autre : un cri étranglé auquel nul ne prit de garde. Puis,
rien.
Katow se sentit
abandonné. Il se retourna sur le ventre et attendit. Le tremblement
de ses épaules ne cessait pas.
La
Condition humaine, Malraux, sixième partie.
Textes du bac
LA
n°4 – Le personnage comme représentation de l’Homme et du monde
Tchen tenterait-il de lever la
moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait
l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était
capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par
ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps
moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à
demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair
d’homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand
rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la
fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme
pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons
grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis
qui se défendent, des ennemis éveillés !
La vague de vacarme retomba : quelque
embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures,
là-bas, dans le monde des hommes…). Il se retrouva en face de la
tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles
dans cette nuit où le temps n’existait plus.
Il se répétait que cet homme devait
mourir. Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non,
exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet
homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car,
s’il se défendait, il appellerait.
Les paupières battantes, Tchen
découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il
attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il
avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un
monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse
n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… »
Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir
fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus
possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes.
Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait
jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le
rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard
était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main
droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant
collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence
qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû
déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était
toujours à lui d’agir.
La Condition humaine,
Malraux, incipit
Textes du bac
LA
n° – Le personnage de roman, du 17ème
siècle à nos jours
Alors, il leva les yeux. Nana s’était
absorbée dans son ravissement d’elle-même. Elle pliait le cou,
regardant avec attention dans la glace un petit signe brun qu’elle
avait au-dessus de la hanche droite ; et elle le touchait du bout du
doigt, elle le faisait saillir en se renversant davantage, le
trouvant sans doute drôle et joli, à cette place. Puis, elle étudia
d’autres parties de son corps, amusée, reprise de ses curiosités
vicieuses d’enfant. Ça la surprenait toujours de se voir ; elle
avait l’air étonné et séduit d’une jeune fille qui découvre
sa puberté. Lentement, elle ouvrit les bras pour développer son
torse de Vénus grasse, elle ploya la taille, s’examinant de dos et
de face, s’arrêtant au profil de sa gorge, aux rondeurs fuyantes
de ses cuisses. Et elle finit par se plaire au singulier jeu de se
balancer, à droite, à gauche, les genoux écartés, la taille
roulant sur les reins, avec le frémissement continu d’une almée
dansant la danse du ventre.
Muffat la
contemplait. Elle lui faisait peur. Le journal était tombé de ses
mains. Dans cette minute de vision nette, il se méprisait. C’était
cela : en trois mois, elle avait corrompu sa vie, il se sentait déjà
gâté jusqu’aux moelles par des ordures qu’il n’aurait pas
soupçonnées.
Tout allait pourrir en lui, à cette
heure. Il eut un instant conscience des accidents du mal, il vit la
désorganisation apportée par ce ferment, lui empoisonné, sa
famille détruite, un coin de société qui craquait et s’effondrait.
Et, ne pouvant détourner les yeux, il la regardait fixement, il
tâchait de s’emplir du dégoût de sa nudité.
Nana ne bougea plus. Un bras derrière
la nuque, une main prise dans l’autre, elle renversait la tête,
les coudes écartés. Il voyait en raccourci ses yeux demi-clos, sa
bouche entrouverte, son visage noyé d’un rire amoureux ; et,
par-derrière, son chignon de cheveux jaunes dénoué lui couvrait le
dos d’un poil de lionne. Ployée et le flanc tendu, elle montrait
les reins solides, la gorge dure d’une guerrière, aux muscles
forts sous le grain satiné de la peau. Une ligne fine, à peine
ondée par l’épaule et la hanche, filait d’un de ses coudes à
son pied. Muffat suivait ce profil si tendre, ces fuites de chair
blonde se noyant dans des lueurs dorées, ces rondeurs où la flamme
des bougies mettait des reflets de soie. Il songeait à son ancienne
horreur de la femme, au monstre de l’Écriture, lubrique, sentant
le fauve. Nana était toute velue, un duvet de rousse faisait de son
corps un velours ; tandis que, dans sa croupe et ses cuisses de
cavale, dans les renflements charnus creusés de plis profonds, qui
donnaient au sexe le voile troublant de leur ombre, il y avait de la
bête. C’était la bête d’or, inconsciente comme une force, et
dont l’odeur seule gâtait le monde. Muffat regardait toujours,
obsédé, possédé, au point qu’ayant fermé les paupières, pour
ne plus voir, l’animal reparut au fond des ténèbres, grandi,
terrible, exagérant sa posture. Maintenant, il serait là, devant
ses yeux, dans sa chair, à jamais.
Mais Nana se pelotonnait sur elle-même.
Un frisson de tendresse semblait avoir
passé dans ses membres. Les yeux mouillés, elle se faisait petite,
comme pour se mieux sentir. Puis, elle dénoua les mains, les abaissa
le long d’elle par un glissement, jusqu’aux seins, qu’elle
écrasa d’une étreinte nerveuse. Et rengorgée, se fondant dans
une caresse de tout son corps, elle se frotta les joues à droite, à
gauche, contre ses épaules, avec câlinerie. Sa bouche goulue
soufflait sur elle le désir. Elle allongea les lèvres, elle se
baisa longuement près de l’aisselle, en riant à l’autre Nana,
qui, elle aussi, se baisait dans la glace.
Alors, Muffat eut un soupir bas et
prolongé. Ce plaisir solitaire l’exaspérait. Brusquement, tout
fut emporté en lui, comme par un grand vent. Il prit Nana à
bras-le-corps, dans un élan de brutalité, et la jeta sur le tapis.
— Laisse-moi, cria-t-elle, tu me fais
du mal !
Nana,
Zola, Chap VII
Textes du bac
LA
n° – Le personnage de roman, du 17ème
siècle à nos jours
Entrée
dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par
état au silence et à l’inaction, j’ai su en profiter pour
observer et réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou
distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on
s’empressait de me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on
cherchait à me cacher.
Cette
utile curiosité, en servant à m’instruire, m’apprit encore à
dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon
attention aux yeux qui m’entouraient, j’essayai de guider les
miens à mon gré ; j’obtins dès lors de prendre à volonté
ce regard distrait que depuis vous avez loué si souvent. Encouragée
par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers
mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais
à prendre l’air de la sécurité, même celui de la joie ;
j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires,
pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir. Je me suis
travaillée avec le même soin et plus de peine pour réprimer les
symptômes d’une joie inattendue. C’est ainsi que j’ai su
prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu
quelquefois si étonné.
J’étais
bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n’avais
à moi que ma pensée, et je m’indignais qu’on pût me la ravir
ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières
armes, j’en essayai l’usage : non contente de ne plus me
laisser pénétrer, je m’amusais à me montrer sous des formes
différentes ; sûre de mes gestes, j’observais mes discours ;
je réglais les uns et les autres, suivant les circonstances, ou même
seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de
penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu’il
m’était utile de laisser voir.
Ce
travail sur moi-même avait fixé mon attention sur l’expression
des figures & le caractère des physionomies ; et j’y
gagnai ce coup d’oeil pénétrant, auquel l’expérience m’a
pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui, en
tout, m’a rarement trompée.
Je n’avais
pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus
grande partie de nos politiques doivent leur réputation, et je ne me
trouvais encore qu’aux premiers éléments de la science que je
voulais acquérir.
Les Liaisons dangereux,
Lettre LXXXI, Choderlos de Laclos, 1782
Textes du bac
LA
n° – Le personnage de roman, du 17ème
siècle à nos jours
Elle
m'apprit alors tout ce qui lui était arrivé depuis qu'elle avait
trouvé G... M..., qui l'attendait dans le lieu où nous étions. Il
l'avait reçue effectivement comme la première princesse du monde.
Il lui avait montré tous les appartements, qui étaient d'un goût
et d'une propreté admirables. Il lui avait compté dix mille livres
dans son cabinet, et il y avait ajouté quelques bijoux, parmi
lesquels étaient le collier et les bracelets de perles qu'elle avait
déjà eus de son père. Il l'avait menée de là dans un salon
qu'elle n'avait pas encore vu, où elle avait trouvé une collation
exquise. Il l'avait fait servir par les nouveaux domestiques qu'il
avait pris pour elle, en leur ordonnant de la regarder désormais
comme leur maîtresse. (…) Je vous avoue, continua-t-elle, que j'ai
été frappée de cette magnificence. J'ai fait réflexion que ce
serait dommage de nous priver tout d'un coup de tant de biens, en me
contentant d'emporter les dix mille francs et les bijoux, que c'était
une fortune toute faite pour vous et pour moi, et que nous pourrions
vivre agréablement aux dépens de G... M... (…)
J'écoutai
ce discours avec beaucoup de patience. J'y trouvais assurément
quantité de traits cruels et mortifiants pour moi, car le dessein de
son infidélité était si clair qu'elle n'avait pas même eu le soin
de me le déguiser. Elle ne pouvait espérer que G... M... la
laissât, toute la nuit, comme une vestale. C'était donc avec lui
qu'elle comptait de la passer. Quel aveu pour un amant! Cependant, je
considérai que j'étais cause en partie de sa faute, par la
connaissance que je lui avais donnée d'abord des sentiments que G...
M... avait pour elle, et par la complaisance que j'avais eue d'entrer
aveuglément dans le plan téméraire de son aventure. D'ailleurs,
par un tour naturel de génie qui m'est particulier je fus touché de
l'ingénuité de son récit, et de cette manière bonne et ouverte
avec laquelle elle me racontait jusqu'aux circonstances dont j'étais
le plus offensé. Elle pèche sans malice, disais-je en moi-même;
elle est légère et imprudente, mais elle est droite et sincère.
Ajoutez que l'amour suffisait seul pour me fermer les yeux sur toutes
ses fautes. J'étais trop satisfait de l'espérance de l'enlever le
soir même à mon rival. Je lui dis néanmoins: Et la nuit, avec qui
l'auriez-vous passée? Cette question, que je lui fis tristement,
l'embarrassa. Elle ne me répondit que par des mais et des si
interrompus. J'eus pitié de sa peine, et rompant ce discours, je lui
déclarai naturellement que j'attendais d'elle qu'elle me suivît à
l'heure même.
Manon
Lescaut,
L’Abbé Prévost, 1731
Textes du bac
LA
n° – Le personnage de roman, du 17ème
siècle à nos jours
Il parut alors une beauté
à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire
que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration
dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles
personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres,
et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort
jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa
femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires.
Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans
revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses
soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas
seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à
lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des
mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie
devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres
avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des
peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour
la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de
dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où
plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté,
quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien
la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait
de la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi
combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une
extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à
ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui est d'aimer son
mari et d'en être aimée.
Cette
héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France
; et quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà
proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était
extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ;
la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour.
Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris
de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut
surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds
lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses
traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient
pleins de grâce et de charmes.
Mme de La
Fayette, La Princesse de Clèves,
1678
Textes du bac - Descriptifs
1ere S4
Professeur : Mme. Marais
Descriptif
Séquence
5
Les scènes
d'aveu comme représentation des désordres du moi
Objet d’étude
Le texte théâtral et sa
représentation du XVIIème siècle à nos jours
Perspectives dominantes
Approfondir l’étude des genres et
des registres
Définir la spécificité du genre
théâtral
Lectures analytiques
- LA
n°14 : L’École des Femmes, Molière
- LA
n°15 : Roberto Zucco, Kortès
- LA
n°16 : Incendies, Mouawad
Histoire des arts
Image tirée de la représentation de
L’École des Femmes, Molière, acte II, scène V
Lecture d’images mobiles
Le Mariage de Figaro,
Beaumarchais, mise en scène de Tribout
Incendies,
D.Villeneuve
Lectures complémentaires
Dom Juan,
Molière
Le Jeu de l'amour et du
hasard, Marivaux
On ne badine pas avec
l'amour, Musset
Phèdre,
Racine : mise en voix théâtrale
Textes du bac - Descriptifs
1ere S4
Professeur : Mme. Marais
Descriptif
Séquence
4
Questionner
l'Homme à travers l'absurdité du personnage
Objet d’étude
La question de l'Homme dans les genres
de l'argumentation
Perspectives dominantes
Étude des différents types
d'argumentation
Histoire littéraire et culturelle :
L’existentialisme par l'absurde
Lectures analytiques
Œuvre
complète : L’Étranger, Albert Camus
- incipit
- scène du meurtre
- épilogue
Lectures cursives
Si c'est un homme, Primo Levi
Histoire des arts
« Street
art », Banksy et Miss'tic
Au choix des
élèves : portrait d'un personnage pouvant représenter
Meursault
Activités
complémentaires
Atelier
d'écriture autour du mot « argumentation »
Rédaction
d'une plaidoierie
Textes du bac - Descriptifs
1ere S4
Professeur : Mme. Marais
Descriptif
Séquence
3
En quoi la
question de l’altérité, à travers les époques, rend-elle compte
de la réflexion sur la nature humaine ?
Objet d’étude
La question de l’Homme dans les
genres de l’argumentation
Perspectives dominantes
Etude des genres et registres :
Les différentes formes de l’argumentation
Histoire littéraire et culturelle :
La question de l’altérité en littérature
Lectures analytiques
- LA n° 9 : « Le Chêne et le Roseau », La Fontaine
- LA n°10 : Essais, Montaigne, Livre III, chapitre 6
- LA n°11 : Candide, Voltaire, « Le Nègre de Surinam »
- LA n°12 : Si c’est un homme, Primo Levi
Histoire des arts
Une œuvre picturale, au choix des
élèves, qui représente une fable
Lecture d’images mobiles
Les Dieux sont tombés sur la
tête, Jamie Uys, 1980 : L’argumentation au cinéma
« Ce que les peuples amérindiens
nous ont apporté », Interview de 1991, Claude Lévi-Strauss
Textes du bac - Descriptifs
1ere S4
Professeur : Mme. Marais
Descriptif
Séquence
2
Le personnage
comme représentation de l’Homme et du monde
Objet d’étude
Le personnage de roman, du XVIIe siècle
à nos jours
Perspectives dominantes
Etude des genres et registres : Le
roman au XXe siècle
Histoire littéraire et culturelle :
La révolution chinoise de 1925-1927
Lectures analytiques
La Condition humaine, Malraux :
- Incipit « Tchen tenterait-il de soulever la moustiquaire (…) c’était toujours à lui d’agir. »
- Excipit « Vous fumez beaucoup ? (…) avec un orgueil amer. »
Histoire des arts
Une œuvre picturale, au choix des
élèves, qui pourrait représenter l’œuvre étudiée.
Activités complémentaires
Recherches TICE : La révolution
chinoise 1925 – 1927, notamment dans la ville de Shanghai.
Textes du bac - Descriptifs
1ere S4
Professeur : Mme. Marais
Descriptif
Séquence
1
L’évolution
du personnage féminin dans le roman
Objet d’étude
Le personnage de roman, du XVIIe siècle
à nos jours
Perspectives dominantes
Etude des genres et registres :
L’écriture classique, le roman sous diverses formes
Histoire littéraire et culturelle :
La vie à la cour
Lectures analytiques
La princesse de Clèves, Madame
de La Fayette
Manon Lescaut, L’Abbé Prévost
Les Liaisons dangereuses, Laclos
Nana, Zola
Lectures cursives
Un roman au choix, dont un extrait aura
été étudié en lecture analytique
Histoire des arts
Portrait de femme, Jacod
Ferdinand Voet
Nana, Monet
Lecture d’images mobiles
Les Liaisons
dangereuses, Frears, (1998)
Activités
complémentaires
Exposés oraux portant sur
l’image de la femme à travers les siècles.
vendredi 15 avril 2016
Bonjour à tous!
Bonjour à tous,
Voici le Blog de la Première S4. Vous pourrez y trouver vos descriptifs, vos textes du bac, ainsi que les textes complémentaires et autres documents travaillés en classe ou en autonomie à la maison.
Rappel : ce blog est pédagogique, vous ne pouvez y poster que des articles en lien avec nos cours de Français.
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